IA made in Germany ? Ce que nous pouvons apprendre de la Silicon Valley

La Californie ensoleillée semble être le stimulateur mondial des innovations majeures dans les secteurs des technologies de l'information et de la haute technologie : les géants de l'Internet Google, Facebook, Apple et Amazon, comme beaucoup d'autres sociétés technologiques, ont leur siège social dans la Silicon Valley. Le milieu des startups innovantes de la région de la baie de San Francisco (Bay Area) est à l'avant-garde du développement de l'intelligence artificielle (IA), suivie de près par la Chine. Mais où en sommes-nous en Allemagne ? Comment notre économie se situe-t-elle dans ce domaine ?

Lors de la conférence « Transatlantic Sync. Germany & Silicon Valley : Shaping a shared digital future »,  organisée à Mountain View, des personnalités de premier plan du monde politique, économique et scientifique ont procédé à une évaluation mondiale de la situation actuelle. Nous avons participé à cette conférence par le biais du projet « FutureWork360 ». L'objectif de ce dernier est d'utiliser la réalité virtuelle pour rendre nos laboratoires d'innovation accessibles dans le monde entier sur une plateforme Internet, favorisant ainsi leur mise en réseau internationale. J'ai résumé ci-dessous pour vous les impulsions que nous ont fournies notre voyage d'une semaine dans la Silicon Valley.

Pendant trois jours, le Computer History Museum – qui se situe non loin du siège de Google - a été transformé en un forum d'échanges de connaissances sur l'IA. Les leaders de l'économie numérique, de la recherche et de la politique se sont réunis pour discuter de la manière dont l'Allemagne et la Silicon Valley pourraient travailler ensemble pour exploiter les énormes opportunités offertes par l'intelligence artificielle, la robotique et d'autres nouvelles technologies numériques, tout en relevant efficacement les défis sociaux, économiques et politiques qu'elles renferment. Nous sommes en effet en plein bouleversement social et nous nous dirigeons vers un avenir dans lequel les machines reposant sur l’intelligence artificielle penseront, prendront des décisions et exécuteront des tâches, choses que nous considérions autrefois clairement « humaines ».

Dans la course A.I. Race, les États-Unis sont en tête, tandis que l'Allemagne présente un grand potentiel, mais des déficits de mise en œuvre

Les États-Unis sont le vivier de talents numériques de tous les pays avec environ 3000 doctorants par an dans le domaine de l'IA (à titre de comparaison : l'Allemagne en compte environ 170). Ce pays possède aussi cinq des dix premiers et 134 des 500 supercalculateurs les plus puissants . Il rassemble même le plus grand nombre de startups liées à l’IA. Les trois quarts de tous les brevets internationaux sur l'IA ont été déposés par des acteurs américains, contre seulement 2 % par des entreprises allemandes. Les chiffres montrent à quel point il est urgent pour les Européens, et en particulier pour les Allemands, de rattraper leur retard en intelligence artificielle, technologie clé s’il en est. Christoph Keese, CEO d'Axel Springer hy GmbH, résume la situation en ces termes : « Il est grand temps de nous réveiller et de ne plus investir aussi peu dans l'IA. C’est par milliards que nous devons intervenir. » L'investissement dans l'éducation numérique et technologique ainsi que l'appel à développer davantage de logiciels basés sur l'intelligence artificielle constituaient également une demande essentielle des participants à la conférence.

On oublie souvent que les Européens ont aussi beaucoup à gagner en développant l'IA : l'Allemagne intervient dans une économie mondiale en réseau, fondée sur la technologie, et joue un rôle clé dans l'influence considérable de l'Europe dans ce domaine. L'industrie européenne – et celle de l'Allemagne en particulier - dispose d'une mine de données provenant d'usines modernes dotées de capacités d'automatisation et de robotique de premier ordre. Il est maintenant nécessaire de construire un écosystème solide pour le développement de « l'IA made in Germany », afin de pouvoir tenir la comparaison au niveau international. Selon le Livre blanc de la conférence, les facteurs suivants sont essentiels au succès :

1.    Développement et expansion de l'infrastructure de données

2.    Relèvement du niveau d'enseignement numérique et technologique

3.    Coopération interdisciplinaire intensive

4.    Propension au risque associée à l’existence de ressources publiques et privées considérables

5.    Reconnaissance et promotion d’une perception positive des nouvelles technologies et des jeunes entreprises dans la société

« L'économie ne peut se faire sans éthique »

Dans un monde de flux de données, il devient également de plus en plus important de toujours avoir sur soi une boussole des valeurs. C’est pourquoi la Fondation ZEIT a soulevé la question suivante lors de la conférence : avons-nous besoin de droits numériques fondamentaux ? Depuis 2016, un groupe de citoyens engagés, soutenu par cette même fondation, élabore une Charte européenne des droits numériques fondamentaux. En 18 articles, celle-ci énonce les principes de protection des données, du traitement des mégadonnées, de l'intelligence artificielle, de la robotique et du contrôle du comportement social. Notre Institut, qui participe lui aussi à ce débat, est engagé à la fois dans le « Groupe de haut niveau sur l'intelligence artificielle » et dans la plateforme « Learning Systems ». Ce que j’ai appris à l’occasion, c’est qu’il est important de promouvoir un développement technologique responsable et centré sur les personnes - ce qui n'est pas possible sans un cadre éthique clairement défini.

Les écosystèmes étant une création intellectuelle, un état d’esprit positif fait plus rapidement avancer les innovations

La mentalité positive des startups est devenue partie intégrante de l'ADN de la Bay Area. Parallèlement aux débats éthiques stimulants, les opportunités offertes par l'intelligence artificielle sont toujours au premier plan dans la Silicon Valley - une attitude sur laquelle nous devons sans aucun doute encore travailler en Allemagne. Nos visites des universités de Stanford et de Berkeley, de l’espace de travail partagé de Silicon Valley Robotics et de l’entreprise NVIDIA nous ont également permis de mieux comprendre l'écosystème de l'innovation de la Silicon Valley. La différence par rapport à l’univers de la haute technologie en Allemagne ne réside pas tant dans la technologie ou la configuration des entreprises, mais dans la manière dont tous les acteurs interagissent. Le monde de l'entreprise et des startups ainsi que le milieu universitaire américains travaillent en étroite collaboration, avec peu de pertes d’efficacité par frictions organisationnelles et dans un même état d'esprit. Déjà pendant les études, l'accent est mis sur l'entrepreneuriat, c’est-à-dire la recherche et le développement (conjoints) d'innovations. À mon avis, c’est cette mentalité qui fait la différence essentielle avec le développement de l'IA en Europe. Nous pouvons apprendre beaucoup de cette force d'innovation et de cette mentalité - en particulier sur la manière de mieux utiliser notre propre potentiel. La récente adhésion de la Fraunhofer-Gesellschaft à la Cyber Vallée de Tübingen, avec notre approche, qui consiste à transformer le plus rapidement possible la recherche fondamentale en applications industrielles pratiques via le KI Progress Centre (centre de recherche en IA) constitue un pas prometteur dans la bonne direction.